L’étude des crédits à l’Assemblée nationale : Une opportunité pour faire avancer des dossiers
18 août 2020
Conseils
Cette semaine, à l’Assemblée nationale du Québec, a lieu l’étude des crédits budgétaires. Cet exercice annuel est bien connu des initiés de la colline parlementaire, mais méconnu du grand public. Il y a donc beaucoup à démystifier autour de cet exercice qui est généralement peu médiatisé.
À travers ce billet, je vous propose que l’on survole les grandes lignes de ce processus qui occupera (et préoccupera pour certains) grandement les élus québécois et que j’ai bien connu, que ce soit comme député à poser des questions ou comme ministre à y répondre.
L’étude des crédits, c’est quoi?
À cette question, le site web de l’Assemblée nationale nous offre une définition toute simple : « Étape de la procédure budgétaire qui consiste à examiner chacun des éléments du budget des dépenses.»[i]. Ainsi, les ministres doivent défendre devant les députés, dans le cadre d’une commission parlementaire, les dépenses de leur ministère respectif pour l’année financière qui s’est terminée le 31 mars. Il s’agit donc d’une opportunité pour les députés de questionner les ministres, de mettre en lumière des dépenses qui semblent injustifiées. Afin de se préparer à cet exercice, les députés se font remettre les réponses aux questions générales qui ont été posées par écrit aux différents ministères, de même que les réponses aux questions particulières qui ont été posées à chacun des ministères par les groupes parlementaires formant les oppositions. Ces documents sont une réelle mine d’or d’informations et les échanges avec le ou la ministre en commission parlementaire, viennent compléter cette reddition de comptes. En somme, l’exercice vise à s’assurer que les fonds publics sont dépensés adéquatement par le gouvernement.
Voilà ce qu’est l’étude des crédits… en théorie! En pratique, c’est bien différent, du moins en ce qui concerne le passage des ministres en commission parlementaire. Dans les faits, cette activité parlementaire censée être consacrée à l’analyse des dépenses passées se transforme en une longue période des questions portant sur l’actualité et les orientations à venir du gouvernement. D’un côté, les députés des oppositions tentent de prendre en défaut les ministres, de les forcer à prendre des engagements ou à se commettre sur certains enjeux. De l’autre, les députés émanant du parti formant le gouvernement font tout leur possible pour mettre en valeur le travail effectué par d’interminables interventions (question que les ministres puissent se reposer un peu) et exposer le travail qu’ils font dans leurs circonscriptions.
Cette dynamique qui anime les députés ministériels a souvent fait la manchette au fil des ans, peu importe la formation politique au pouvoir. On les accuse de dénaturer l’exercice, de perdre leur temps avec leurs « questions plantées », des questions qui sont donc connues à l’avance par les ministres… qui ont des réponses préparées à l’avance. Ce comportement des élus soulève des remarques acerbes étant donné que les députés ministériels disposent, en temps normal, de la moitié des 200 heures allouées pour poser des questions!
[i] http://www.assnat.qc.ca/fr/patrimoine/lexique/etude-des-credits.html
L’étude des crédits en temps de COVID-19
La démonstration est maintenant faite, 2020 bouleverse toutes nos habitudes. Il en va de même pour celles de l’Assemblée nationale et les impacts sont importants pour l’étude des crédits de cette année. Tout d’abord le fait, que celle-ci se déroule en août est pour le moins particulier. Habituellement, elle a lieu au printemps, quelques semaines après le dépôt du budget par le ministre des Finances. Avec la suspension des travaux à l’Assemblée nationale et les règles de fonctionnement temporaires, les crédits seront donc étudiés à un moment où les députés ne siègent pas au Salon bleu, ce dernier reprenant ses travaux seulement le 15 septembre. Cela va inévitablement entraîner un changement dans la dynamique de l’étude des crédits. En l’absence de la fameuse période des questions qui est le moment fort du quotidien des députés, ceux-ci auront certainement tendance à questionner le gouvernement sur des sujets d’actualité afin de s’inscrire dans les médias. En revanche, l’exercice suscitera davantage l’intérêt des journalistes de la tribune de la presse comme il n’y a aura pas d’affaires courantes à rapporter au même moment. L’attention sera donc tournée vers cet exercice cette année, ce qui mettra encore plus en évidence les dossiers qui y seront abordés.
Deuxièmement, l’exercice sera beaucoup moins long en 2020. Plutôt que d’être d’une durée de 200 heures, c’est 100 heures qui y seront consacrées, le gouvernement ayant renoncé au temps de parole auquel il a droit. C’est donc dire qu’il n’y aura pas de « questions plantées » cette fois-ci, ce qui relèvera également l’intérêt des journalistes pour l’exercice et le rendra plus intéressant pour l’ensemble de la population.
Malgré ses imperfections, l’étude des crédits sera encore une fois une occasion pour les citoyens, et aussi pour les groupes, d’en apprendre davantage à propos des orientations du gouvernement ainsi qu’au sujet du positionnement des partis sur divers enjeux. Il y a là de l’information qui est divulguée, de l’information pouvant être très utile pour celles et ceux qui s’intéressent à des dossiers particuliers.
Il était une fois un ministre à l’étude des crédits du Ministère de la Culture
Parlant de dossiers particuliers, il va sans dire que l’étude des crédits constitue une opportunité extraordinaire pour des individus ou des groupes qui souhaitent mettre en évidence certains enjeux ou encore faire avancer des dossiers pour lesquels le gouvernement est réfractaire, ne bouge pas ou pas assez rapidement. Pour mettre la pression sur le gouvernement, on alimente les députés qui seront présents en commission parlementaire et qui auront à questionner le ou la ministre. Les députés sont constamment à l’affût d’informations et de questions potentielles pouvant faire avancer certains enjeux. Bien entendu, ils sont libres ou non d’utiliser les informations qui leur sont fournies. C’est pourquoi il faut s’assurer au préalable qu’ils ont de l’intérêt pour l’enjeu que l’on souhaite leur soumettre et que leur orientation face à celui-ci correspond à la nôtre. Si tel est le cas, les députés peuvent faire des interventions qui forceront le gouvernement à prendre plus clairement position sur certains enjeux, ou carrément à prendre des engagements.
Si l’opération est bien menée, elle peut donner des résultats intéressants pour ceux qui en sont à l’origine. À cet effet, je me souviens encore très bien de ma première étude des crédits comme ministre de la Culture. Le matin même, alors que je révisais mes notes une dernière fois pour la commission parlementaire qui s’amorçait en début d’après-midi, je vois dans les médias que des organismes culturels sont en train de manifester sur la place d’Armes à Montréal afin de réclamer une augmentation du budget du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ). L’enjeu n’était pas nouveau pour moi et j’étais prêt à l’aborder, car j’envisageais d’augmenter ce budget éventuellement. Cependant, je ne m’y étais pas encore engagé publiquement comme il restait quelques détails à régler. Le but de la démarche des organismes était bien évidemment que je m’y engage formellement et publiquement, question que je ne puisse plus reculer. C’était de bonne guerre de leur part et ils étaient bien organisés pour atteindre leur objectif.
En plus de leur manifestation (tenue à un moment qui n’était pas le fruit du hasard), je reçois sur mon cellulaire un appel d’une ancienne ministre de la Culture qui voulait me signifier son appui aux revendications et m’informer que j’allais être questionné sur le sujet en après-midi. Je décide donc, avant de me rendre au parlement, que j’allais m'engager à effectuer une annonce prochainement concernant le budget du CALQ, ce que je voulais faire de toute manière. Ce faisant, je me disais que la pression publique allait diminuer, bien que j’avais conscience que je m’imposais désormais une obligation de résultat. Valait quand même mieux cela plutôt que le débat prenne encore plus d’ampleur dans les médias.
Sans surprise, la question est arrivée très rapidement, notamment par la voix de la porte-parole de l’opposition officielle en matière de Culture. Les organismes culturels avaient bien évidemment concerté le tout avec elle, d’autant plus qu’elle était la première à prendre la parole à la suite de mes remarques d’ouverture. En guise de réponse, j’ai annoncé mon intention. Les organismes culturels avaient donc bien réussi à positionner leurs revendications dans l’espace public et dans le débat parlementaire. Ce fut une bonne opération pour eux, car ils ont atteint leur objectif en faisant en sorte que je prenne publiquement un engagement. Par le fait même, ils ont également prouvé, même si ce n’était certainement pas leur objectif, que l’étude des crédits est une bonne opportunité pour faire avancer des dossiers.