Nomination du Conseil des ministres : entre continuité et héritage politique
28 octobre 2021
Si le premier ministre Trudeau faisait face à un exercice d’équilibre complexe dans la nomination de son conseil des ministres cette semaine, force est de reconnaitre que, d’un point de vue mathématique au moins, il peut dire « mission accomplie ». Avec à peine un ministre de plus à la table, il maintient la parité – si chère à sa marque de commerce depuis 2015 – en plus de maintenir un équilibre régional qui le servira sans doute à moyen terme.
Dernière opportunité de façonner son héritage politique
Nombreux sont les observateurs convaincus que l’élection d’un gouvernement libéral en 2021 était la dernière campagne de M. Trudeau à titre de chef du parti. La tentation de choisir des ministres capables de livrer ses ambitions et lui permettre de laisser sa marque a dû être forte.
La nomination de Steven Guilbeault à l’Environnement et au Changement climatique relève sans doute en partie de cette logique. Chaudement accueilli par les milieux environnementaux et décrié par d’autres comme un activiste faisant obstacle au développement économique, le ministre Guilbeault devra naviguer la zone grise qui survient inévitablement lorsqu’un ancien militant accède au Conseil : ses détracteurs critiqueront chacune de ses interventions, ses supporteurs trouveront qu’il ne va pas assez loin. La COP26 de Glasgow sera son premier test sérieux.
Face à ce défi, M. Guilbeault pourra compter sur l’appui de son prédécesseur, le très pragmatique Jonathan Wilkinson, qui vient d’être nommé aux Ressources naturelles. Les deux hommes s’apprécient en privé et devraient être en mesure de maintenir de bonnes lignes de communications permettant de concilier les positions, parfois divergentes, de ces deux ministères névralgiques.
Afin de progresser sur la réconciliation, autre enjeu cher au Premier ministre et sur lequel l’Histoire jugera en partie son passage à la tête du pays, M. Trudeau fait monter en grade Marc Miller, nommé aux Relations Couronne-Autochtones. M. Miller est investi personnellement et sincèrement dans la cause autochtone et c’est un ami personnel de longue date de M. Trudeau. Il y a fort à parier que la grande confiance entre les deux hommes aura joué dans cette nomination.
Une grande place aux femmes
La place des femmes au sein du gouvernement n’est pas un simple exercice cosmétique pour le Premier ministre. Plusieurs de ses collègues féminines accèdent à des postes de haute responsabilité : Chrystia Freeland aux Finances, Anita Anand à la Défense, Mona Fortier au Conseil du Trésor et Mélanie Joly aux Affaires étrangères pour n’en nommer que quelques-unes. Sauf pour Mme Freeland, qui est renouvelée dans ses fonctions, toutes ces nominations voient arriver du sang neuf dans des ministères où les enjeux sont fondamentaux. Un défi supplémentaire attend Mme Joly, à qui on prête des ambitions dans une potentielle course au leadership : difficile de préparer efficacement le terrain quand on est en permanence entre deux vols internationaux!
Des relations Ottawa-Québec dans la continuité… ou pas !
Malgré la prise de position risquée de M. Legault pendant la campagne électorale, le premier ministre Trudeau a semblé vouloir inscrire les relations avec son homologue de Québec dans une certaine continuité. Dominic LeBlanc reste en poste comme ministre des Relations intergouvernementales alors que Pablo Rodriguez est reconduit comme Lieutenant au Québec.
Il faut noter tout de même l’important cumul de fonctions des deux ministres qui risque de limiter leur temps d’interaction avec le gouvernement Legault. Les retours d’appels pourraient être un peu plus longs…
M. Leblanc sera responsable des Infrastructures, une position névralgique et et logique dans un contexte de reprise post-pandémique puisque bon nombre des projets se feront en collaboration avec les provinces. M. Rodriguez, quant à lui, fait un retour au Patrimoine et plusieurs des dossiers prioritaires morts au feuilleton - et que les libéraux ont promis de redéposer dans les 100 premiers jours de leur mandat - aboutiront sur son bureau : réforme de la radiodiffusion, haine en ligne et revenus des géants du web, notamment. Ce portefeuille et l’importance des dossiers qui y seront transigés lui donneront une certaine marge de négociation avec ses collègues du Cabinet ou du caucus, si nécessaire, pour faire avancer les dossiers du Québec.
En terminant, une nomination a dû faire grincer des dents dans les couloirs de l’Assemblée nationale : la ministre Petitpas Taylor, députée néo-brunswickoise, hérite du dossier des Langues officielles... Le message de M. Trudeau est clair : la langue n’est pas un dossier uniquement québécois et Québec n’a pas le monopole des sensibilités à ce chapitre. M. Legault ne le voit probablement pas de la même manière !